Bergson et la dernière tendance de la sémiotique

 

Kristian BANKOV

Nouvelle Université Bulgare

 

 

La sémiotique existentielle c’est la réalisation consciente d’une tendance durable de la discipline – la collaboration entre la science des signes et la philosophie. Avant que j’esquisse quelque direction possible d’enrichissement de la sémiotique existentielle à la lumière des idées de H. Bergson, je vais me permettre de proposer un schéma qui reflète les phases les plus importantes du processus qui nous intéresse.

La sémiotique débute comme une discipline autonome vis-à-vis de la science. Les deux fondateurs Peirce e Saussure consacrent beaucoup d’efforts à convaincre leur milieu académique et scientifique que l’approche scientifique présente les mêmes garanties méthodologiques que celles des sciences naturelles. Dans un tel contexte la sémiotique, avec les autres sciences, lutte contre les philosophies non positives et le subjectivisme. Plus que les deux fondateurs, les autres figures emblématiques dans cette lutte sont Luis Hjelmslev et Roman Jakobson. La philosophie existentielle et l’intuitivisme de Bergson en toute certitude sont parmi les domaines à l’opposé de la novelle science des signes.

Pendant les années 60, on peut dire que la sémiotique (sémiologie) a triomphé. C’est un fait indicatif que l’étoile éclipsée dans le milieu intellectuel ait été Jean-Paul Sartre, et que la vedette naissante ait été Claude Lévi-Strauss, un des piliers du structuralisme et celui qui a appliqué le paradigme de Saussure dans l’anthropologie (Dosse 1991: 19-35). Dans la même période naissent d’autres figures importantes directement engagées en sémiotique, qui bientôt acquièrent une réputation mondiale : Roland Barthes, Umberto Eco, Algirdas Greimas, Thomas Sebeok, Julia Kristeva, Tzvetan Todorov parmi les autres. La sémiotique entre dans les universités et tôt elle s’institutionnalise comme une des principales disciplines des sciences de l’homme. Son potentiel théorique augmente de façon impressionnant et voilà que pendant les années 70 et 80 il devient presque impossible de ne lui déterminer aucune limite. Mais la chose la plus importante pour nous est que la sémiotique, de sa novelle position, pour ainsi dire „du haut”, reviens á la philosophie non positive (analytique) ainsi qu’à la psychanalyse et aux études culturelles. Nous pouvons bien dire que c’est un niveau d’affirmation. La sémiotique a déjà une identité forte (caractérisée par le pluralisme des références) et une maturité théorétique pour entrer dans un dialogue constructif avec la philosophie bien, que paradoxalement le début ce dialogue soit dû surtout à l’influence de la déconstruction du Derrida. Pour ce que je sais, la sémiotique existentielle d’Eero Tarasti est la systématisation la plus sérieuse de ce dialogue.

En utilisant la structure du schéma central de la sémiotique existentielle (avec un contenu complètement différent) nous pouvons représenter ainsi la dynamique décrite (Tarasti 2000 : 10) :

 


 

Grâce á la seconde phase des rapports entre la science des signes el la philosophie, devient possible l’apparition du Bergson sur la scène sémiotique. Au temps du Saussure et de Peirce, ce fut exactement la négation des doctrines comme la théorie bergsonienne que aida à la conquête d’une nécessaire identité (Bankov 2000 : 41-43 ; 115-117). Bien plus, en cette époque l’anti-intellectualisme du Bergson a été le symbole d’un mode de pensée suranné et jusqu’à aujourd’hui dans beaucoup des manuels de philosophie il est étiqueté comme “ennemi du langage“ .

Dans l’immense bibliographie de cette époque il y a une seule publication que ose chercher l’interaction positive entre Bergson et Saussure (et cela n’empêche que l’intuition de Roudet, auteur de l’article, ce montre exclusivement perspicace). Dans Sur la classification psychologique des changements sémantiques Roudet (1921) insiste sur le fait que les modifications diachronique dans la langue, importées de la parole sont un résultat des initiatives individuelles expressives, similaires à celles décrites par Bergson dan L’effort intellectuel (1902). Une pareille direction des recherches est restée intacte pendant plusieurs décennies ; de là part le sentier bergsonienne vers la sémiotique existentielle.

Quand Eero Tarasti décrit son projet, il donne une indication très précise : “Ce que je cherche c’est probablement la chose la plus important dans la sémiotique – c'est-à-dire les états antérieurs à la formation des signes” (Tarasti 2000: 7). Dans tout la polémique contre la langue Bergson ne dénie pas l’importance de processus langagière, mais il dénonce seulement les mécanismes par lesquels la fétichisation dogmatique des mots et des termes bloque les actes créatifs individuels antérieurs à la formation des signes. Exactement dans ce sens Eero Tarasti prolonge sa pensée - “Quand le signe est cristallisé, il ne reste presque rien” (ibidem).

La vie existentielle du signe est constituée de l’acte de transcendance autour duquel se joue la dialectique ente l’être et le non-être (11). D’après Tarasti, mais comme on le verra chez Bergson aussi, c’est la prédisposition naturelle de la subjectivité doit être pris en compte. Le monde sémiotiquement articulé et pragmatiquement orienté de Dasein n’est pas suffisant (19). Le sujet combat pour préserver son unicité par la permanente transcendance de l’état donné et impersonnelle de Dasein.

Bergson touche ce thème assez explicitement dans une allocution solennelle déjà au début de ça carrière. Dans son discours fameux Le bon sens et les études classiques il insiste:

 

„Je vois justement dans l’éducation classiques, avant tout, un effort pour rompre la glace des mots et retrouver au dessous d’elle le libre courant de la pansée. En vous exerçant, jeunes élèves, a traduire les idées, d’une langue dans une autre, elle vous habitue á les faire cristalliser, pou ainsi dire, dans plusieurs systèmes différents; par là, elle les dégage de toute forme verbale définitivement arrêtée, et vous invite á penser les idées mêmes, indépendamment des mots” (Bergson 1895: 368)

 

Quand Bergson parle aux idées „indépendantes des mots” ce ne doit pas inciter à prétendre que pour lui le caractère sémiotique de la pensée est inconcevable. Si on regarde de plus près sa théorie de langage, développée dans Matière et mémoire et approfondie dans „L’effort intellectuel” on va voir que Bergson, comme Peirce (Bankov 2000: 115-130), favorise le caractère iconique de la pensée. La mémoire est un ensemble d’images et la pensée est leur emploi dynamique, fonction de la perception de la réalité et de l’attention á la vie (Bergson 1997). Bergson parle de la nécessité permanente d’une instance structurant, responsable pour la sélection des images, selon leur adéquation aux exigences de la situation. Il la décrit comme un schéma dynamique abstrait, qui a besoin d’un effort intellectuel pour ce réaliser (Bergson 1902). Par conséquent, dans la sémiotique existentielle ainsi dessinée de Bergson, les points principaux sont l’acte de transcendance d’un système symbolique dans une autre par la médiation d’une structure iconique dynamique, qui exige un effort intellectuel.

Un moment clef dans l’évolution des idées de Bergson est „la découverte” du concept d’„intuition”. Ce point de vue devient le plus décisif avec la publication de l’article Introduction á la métaphysique en 1903 et continue jusqu’à la fin de son œuvre. La thème de l’intuition remplace presque entièrement les descriptions “techniques” du langage, ce que j’ai nommé „la théorie bergsonienne du langage”, développé surtout dans Matière et mémoire et dans L’effort intellectuel. Cependant, indépendamment de cela dans les œuvres de la période la plus mûre de Bergson, il est possible de découvrir encore des ponts vers la sémiotique existentielle. Eero Tarasti tien á l’idée selon laquelle enfin la sémiotique inclue dan le périmètre de ses recherches la créativité (Tarasti 2000: 28, 82). Il justifie cela et d’autres aspects de la nouvelle approche de la façon suivante: „On peu bien voir comment la sémiotique existentielle, que souligne le rôle de sujet, est une contre-réaction á la sémiotique positive” (31).

Dans la philosophie de Bergson, on peut bien observer une ontologie de la créativité. En celle-ci, le trait le plus caractéristique de la matière vivante est qu’elle produit constamment l’imprévisible nouveauté. La nature est créatrice et ce fait condamne l’approche positive (déterministe) de sa description à un échec de principe. Naturellement cet échec ne touche que les réponses à des questions fondamentales, tandis que dans la sphère de la théorie scientifique et de l’exploitation pratique l’approche positive est la seule possible. D’après Bergson, la méthode de la métaphysique doit être l’intuition et non l’analyse parce que la dernière prive l’expérience du réel de sa plus importante caractéristique - la durée du temps. La méthode de l’intuition est une contre-réaction contre la philosophie positive, une dérivée de la créativité, constituant la vie.

Mais une fois accepté le fait que le réel soit un flux d’imprévisibilité, il faut qu’on accepte les conséquences de cette thèse. Est visé ici le statut de son altérité envers nos constantes entreprises descriptives et totalisantes. Le réel nous est donné comme résistance (un autre thème de la sémiotique existentielle: 13-15) et Bergson constamment rappelle que notre connaissance présuppose un constant effort créatif. La créativité originelle naturelle de la matière vivante trouve une contrepartie dans la subjectivité créative sémiotique de la conscience. Dans la sémiotique existentielle de Bergson, l’effort créatif est la condition pour une transcendance de statu quo. Dans l’essai La conscience e la vie il décrit cette dépendance ainsi: „L’effort est pénible, mais il est aussi précieux, plus précieux encore que l’œuvre où il aboutit, parce que, grâce à lui, on a tiré de soi plus qu’il n’y avait, on s’est haussé au-dessus de soi-même.” (Bergson 1959: 832). D’après Bergson le discours philosophique qui dit quelque chose de nouveau représente aussi un effort transcendant: „si la métaphysique est possible, elle ne peut être qu’un effort pour remonter la pente naturelle du travail de la pensée” (Introduction a la métaphysique, Bergson 1959: 1415).

Mais la description “la plus existentielle” de l’activité subjective discursive, le mécanisme même par lequel la négation d’une system symbolique mène le sujet á la transcendance et à l’affirmation d’un nouveau système authentique et de la dialectique „angoisse – créativité”, Bergson la fait dan Lesdeuxsourcesdelamoraleetdelareligion:

 

„Quiconque s’exerce à la composition littéraire a pu constater la différence entre l’intelligence laissée à elle-même et celle que consume de son feu l’émotion originale et unique, née d’une coïncidence entre l’auteur et son sujet, c’est-à-dire d’une intuition. Dans le premier cas l’esprit travaille à froid, combinant entre elle des idées, depuis longtemps coulées en mots, que la société lui livre à l’état solide. Dans le second, il semble que les matériaux fournis par l’intelligence entrent préalablement en fusion et qu’ils se solidifient ensuite à nouveau en idées cette fois informées par l’esprit lui même: si ces idées trouvent des mots préexistants pour les exprimer, cela fait pour chacune l’effet d’une bonne fortune inespérée; et, à vrai dire, il a souvent fallu aider la chance, et forcer la sens du mot pour qu’il se modelât sur la pensée. L’effort est cette foi douloureux, et le résultat aléatoire. Mais c’est alors seulement que l’esprit se sent ou se croit créateur” (Bergson 1959: 1013-4).

 

Le sentier bergsonien vers la sémiotique existentielle trouve son point de départ des les premières écrits du philosophe et traverse toute son œuvre. Malheureusement, Bergson ne consacre aucune étude spéciale au langage et aux signes et ce fait alourdit assai le travail de systématisation de sa position à cet égard. Un essai partiel est fait avec le livre déjà mentionné Intellectual Effort and Linguistic Work (Bankov 2000), qui comprend une large bibliographie. Mais ce sont seulement les premiers pas dans un territoire de recherche auquel le présent travail n’est qu’une invitation.

 

 

Bibliographie

 

BANKOV, Kristian

2000, Intellectual Effort and Linguistic Work: Semiotic and Hermeneutic Aspects of the Philosophy of H. Bergson, Acta Semiotica Fennica Vol. IX, Helsinki.

 

BERGSON, Henri

1895, Le bon sens et les études classiques, in Mélanges (1972), pp. 360-372.

1902, “L’effort intellectuel”, Revue Philosophique, jan. 1902, in OEUVRES (1959),  pp. 813-978.

1903, “Introduction à la métaphysique”, in Revue de Métaphysique et morale, XXIX, 1,  janvier  1903,  pp. 1-36 in OEUVRES (1959), pp. 1392-1432.

1959, OEUVRES, Édition du Centenaire, P.U.F., Paris.

1972, Henri Bergson. Mélanges, Textes publiés et annotés par André Robinet, P.U.F., Paris.

1997 [1896], Matière et mémoire. Essai  sur  la  relation  du corps à l'esprit, P.U.F., Paris.

 

DOSSE, François

1991, Histoire du Structuralisme I. Le champ du signe, 1945-1966, ed. La Découverte, Paris.

 

TARASTI, Eero

2000, Existential Semiotics, Indiana University Press, Bloomington.

 

ROUDET, Léonce

1921, Sur la classification psychologique des changements sémantiques, in Journal de psychologie normale et pathologique, № 18.